L’écho de l’une à l’autre de deux formes d’expériences limites, l’une ancienne et personnelle, l’autre récente et collective, fait la substance de ce livre.
Un incident banal, une femme s’exprimant à la télévision, devient facteur déclencheur et fait voler en éclats la poche protectrice de silence qui enveloppait un événement personnel débordant tout langage. L’auteur relate alors tout ce reflux vers la conscience, tout ce vu, ressenti, éprouvé, gravé dans la mémoire psychique/corporelle à travers une écriture très épurée. Elle en a placé le récit au centre du livre qui s’ouvre et se termine avec l’évocation de la catastrophe collective.
Les mots les plus simples, resserrés, provoquent une émotion qui pousse à lire de manière folle et rapide les premières cinquante pages où l’on va du Golfe du Bengale à une plage d’Afrique – à travers l’hyper conscience qu’elle a des faits. L’écriture, dépassant l’individualité, rejoint le questionnement sur le présent de l’espèce humaine coincée entre deux forces violentes : celle extérieure propre à la vie de sa planète et celle, protéiforme comme suggéré à différents moments, intrinsèque à l’espèce.
C’est bien parce que l’auteure a traversé ces deux violences-là, qu’elle ne peut que les confronter. A cause de la dernière, celle inouïe qui a tellement ébranlé toute certitude, comme on a pu le lire dans « The Black Sunday », elle peut aborder cette part blessée, s’extirper de ce « là-bas » de douleur, se re-situer dans « l’ancestrale colère des femmes » et dire « non ! » pour pouvoir écrire ce texte qui soulèvent et/ou réactive maintes questions.
De cela Jacqueline Merville rend compte, avec – aussi – l’inévitable traversée de la solitude par tout rescapé qui risque de se blesser de se briser encore davantage selon l’incompréhension rencontrée.
Il faut insister sur le fait que l’accès brutal à la fragilité -dans sa beauté tragique- de l’humaine condition, est déjà considérable… y mêler en plus la violence la plus cachée/déniée, celle du sexe qui, en outre, s’appuie sur celle du racisme inversé… pas étonnant que ce texte laisse « sans voix ».
Pour ma part, depuis plus de quarante ans que je lis-cherche à travers les textes (*) évoquant les expérience limites de l’humanité, j’arrive toujours à la même réponse que Jacqueline Merville rappelle: le réel est cru, sans dorure. Il est le désastre.
Ces quelques vérités …simples et si essentielles ne sont-elles pas – religions et idéologies diverses le démontrent chaque jour – impossibles à admettre ?
Avec la rigueur et l’esthétique qui caractérisent son écriture, Jacqueline Merville nous oblige à les regarder en face, ce qui est hautement salutaire par les temps qui courent.
Anne-Marie Jeanjean Oct. 08
(*) Cf. : à l’occasion de la traduction des « Poème de prison » de Liao Yiwu – ou du texte « Toi, elle, la seule » inédit en hommage à Anna Akhmatova, etc.